Le 13 mars 2020, quelques jours avant le confinement, la librairie parisienne Le Genre Urbain organisait une rencontre-débat avec l’auteure de Souffrance en milieu engagé. Cette enquête sur les dérives pathogènes du « Social business » réunissait une trentaine de professionnels, dont beaucoup avaient participé à la documentation de Pascale-Dominique Russo. Un débat nourri donc, dans le vif d’un sujet brûlant pour le secteur de l’économie sociale et solidaire.
A l’origine du mal :
la marchandisation du service d’intérêt général
Les plus âgés d’entre nous se souviennent d’un temps où les relations entre le monde associatif et les pouvoirs publics, notamment les collectivités territoriales, se plaçaient sous le signe du partenariat. Fin de partie!
Le quasi abandon de la subvention au profit de l’appel d’offres (ou appel à projets), au nom de la libre concurrence, va entraîner des effets délétères en cascade, dans le sillage de la LOLF (2001) et de la RGPP (2007).
La « banalisation » de l’économie sociale et solidaire (ESS), c’est-à-dire son assimilation à l’économie marchande classique, se poursuit paradoxalement avec la loi PACTE (2019). Tandis que les organisations à but lucratif peuvent de plus en plus prétendre à des labels de vertu inspirés des valeurs de l’ESS, celle-ci se trouve sommée d’entrer dans le jeu des normalisations (RSE, Esus), pour maintenir la compétitivité de ses structures sur le marché de l’intérêt général et de la solidarité. Soumises de ce fait aux affres de la concurrence, certaines organisations de l’ESS, dans une logique de survie, en viennent à adopter certains fonctionnements délétères du management marchand, au prix du grand écart avec leurs principes fondateurs.
En cause : l’absence de contre-pouvoirs
Pascale-Dominique Musso dénonce des modes de gouvernance très peu démocratiques ou dysfonctionnels, ne permettant pas au travail de terrain de s’exprimer, ni aux représentants du personnel de peser sur les orientations stratégiques des structures. Alors que les organisations investiguées continuent à revendiquer la cause supérieures du service au public bénéficiaire, il est également rarissime que ce dernier soit réellement représenté dans les instances opérationnelles ou décisionnaires.
Dans le public réuni au Genre Urbain, un participant s’étonne de « l’omerta » qui pèserait sur le secteur : comment se fait-il que ces écarts et dysfonctionnement, facteurs de maltraitance et de souffrance au travail, ne soient pas plus publiquement dénoncés?
L’un des paradoxes de la « souffrance en milieu engagé » est son entretien involontaire par les professionnels eux-mêmes. Engagés dans leurs missions, placés en situation de « servitude volontaire », otages des urgences et détresses qu’ils affrontent, ils n’osent pas fragiliser encore plus leurs entreprises précarisées. Du côté des directions, l’argument de la prééminence de l’intérêt humanitaire sur toute autre considération renvoie la résistance salariale légitime au rang d’égoïsme irresponsable. Ainsi piégés dans un conflit éthique, dans l’insécurité quant à la pérennité de leur contrat de travail, la plupart des professionnels endurent… Ou partent.
Quelles perspectives?
Pascale-Dominique Musso conclut dans son essai « qu’une réorientation des politiques publiques actuelles à l’endroit du monde associatif est une condition sine qua non pour circonscrire les risques psychosociaux et la souffrance dans les associations ». Des moyens existent, d’autre part, comme en témoignent différentes initiatives pour renouer avec la logique partenariale sur les territoires, en déjouant (légalement!) les contraintes juridiques. Enfin, la mobilisation de moyens de prévention des risques permet à certaines structures de sortir du déni organisationnel.
Poursuivre le débat : comment résister?
Défauts de démocratie, déni organisationnel des situations réelles de travail, défauts de résistance collective aux pressions institutionnelles, zèle « missionnaire » et surmenage des professionnels poussés au départ ou au burn-out, chantage à la pérennité des structures… La charge est lourde, même si l’auteure renouvelle sa confiance dans l’avenir de l’ESS.
Du point de vue des sciences du travail, tristement, nous pourrions dire : mêmes causes, mêmes effets. L’idéologie gestionnaire n’épargne pas les entreprises d’intérêt général. Cela fait bien longtemps que les clinicien(ne)s du travail sont appelés à la rescousse dans le champ du travail social, quand les dérives organisationnelles ont entraîné des maux impossibles à masquer. Il serait tellement plus pertinent, mais surtout tellement plus salutaire, de mettre collectivement en place des organisations non pathogènes. C’est possible!
D’accord sur le principe d’un déplacement à Nantes à l’automne 2020, Pascale-Dominique Russo se montre partante pour une poursuite du débat sur les voies de résistance que notre secteur peut emprunter.
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La facilitatrice se propose de réunir et coordonner les bonnes volontés pour l’organisation et l’animation de cet événement.