Quand on évoque les réussites de l’économie sociale et solidaire (ESS), c’est généralement en termes d’impacts positifs sur l’environnement et les territoires. Pourtant le mode de gouvernance fait intrinsèquement partie des indicateurs de qualité des entreprises de l’ESS. Après la parution de l’enquête de Pascale Dominique RUSSO sur les dérives du secteur, Souffrance en milieu engagé, il importe plus que jamais de rappeler les réussites des modèles innovants de démocratie d’entreprise. Scopéli est un de ces modèles.
Coopérative alimentaire implantée à Rezé, dans la métropole nantaise, Scopéli est gérée par ses 2000 coopérateurs-clients et ses 3 salarié(e)s. Cette fourmilière humaine n’est rien moins que théoriquement ingérable : comment assurer le fonctionnement très contraignant d’un supermarché en faisant travailler à tour de rôle 2000 bénévoles non qualifiés à l’aide de 3 salariés? Selon les critères et conditions classiques des sciences de la gestion et de l’organisation, c’est juste… Impossible!
Depuis avril 2019 cependant, Scopéli parvient à auto-gérer et autofinancer une surface de vente de 400m2, impliquant toute la chaîne de ses acteurs locaux, depuis les producteurs (en bio, pour la plupart) jusqu’aux consommateurs-coopérateurs. Son fonctionnement habituel témoigne d’une agilité déconcertante, c’est-à-dire d’une agilité réelle, non standardisée par une méthode quelconque de management éponyme. Organisation apprenante, intelligente, démocratique, la coopérative invente constamment son propre modèle, dans l’écosystème de l’ESS et la galaxie des supermarchés coopératifs. Nous sommes dans l’expérimentation et l’ajustement permanents. Cela ne signifie aucunement qu’aucun problème ne se pose. Au contraire! Les difficultés justement se POSENT. Elles ne font pas l’objet d’un déni. Elles se résolvent dans l’effort collectif de problématisation et d’imagination, ancré dans la conscience partagée des contraintes du travail. Les instances démocratiques de gouvernance, l’une opérationnelle et l’autre stratégique travaillent en étroite connivence et se fient aux remontées du terrain, au travers des représentants des groupes de travail qui y siègent.
En un temps record, Scopéli s’est ainsi adaptée aux contraintes de la crise sanitaire du coronavirus, pour assurer la continuité du service alimentaire et au-delà, poursuivre l’oeuvre commune. Ce n’est pas comme si les questions de santé et de bien commun venaient percuter l’organisation. Elles en sont à l’origine, à travers l’objectif de l’alimentation de qualité pour tous.
Coopératrice depuis début 2018, fascinée par cette expérience « impossible », je m’y intéresse aussi sous l’angle des sciences du travail. Comment ça marche? Qu’est-ce qui fait que ça marche? J’avance l’hypothèse que l’organisation toujours expérimentale et toujours tâtonnante (agile, donc) de Scopéli repose sur l’intelligence partagée des situations réelles, telles qu’elles se présentent. Ici, rien ne sépare hermétiquement le travail de la gestion du travail, le bureau du magasin, la gouvernance de la production, le client du travailleur. L’humain, précisément le travail humain, reprend sa place centrale, parfois négligée dans les organisations de l’ESS investiguées par Pascale Dominique RUSSO.
Dans quelle mesure ce modèle est-il transposable? Cela mériterait une étude.
Armelle Barré